Canton du Jura

Un substantiel mobilier moderne, utilisé comme matériau inerte dans un système de drains, a été recueilli à l’ouest de Porrentruy, au lieu-dit Grand’Fin. La composition de cet ensemble est variée: 13'500 tessons de vaisselle, 1818 fragments d’éléments de poêles, dont un moule à catelle, 222 restes de tuiles, 130 morceaux de briques, 150 fragments de scories, du verre plat et à bouteille, des ossements et quelques objets lithiques et métalliques.

L’étude de la céramique aborde deux aspects: d'une part la détermination de la provenance, pour distinguer la production locale des importations (en intégrant à cette problématique la tradition potière ajoulote dont la représentation la plus emblématique est Bonfol), et d'autre part, elle propose une fourchette chronologique.

La recherche dans le domaine de la production régionale de céramique se résume à l’étude de Gustave Amweg (1941). Les objets les plus anciens conservés dans les musées et les collections privées remontent au maximum à la seconde moitié du 19e siècle. Comment opérer un rapprochement entre un mobilier archéologique et une tradition régionale ? Quels sont les arguments en faveur d’une attribution des céramiques communes de Grand’Fin à Bonfol ?
En l’absence de chronostratigraphie, la méthode passe par l’établissement d’un catalogue exhaustif des formes de récipients et des types de catelles représentés, après classement par catégorie de céramique, ce qui a permis de mettre en évidence la supériorité numérique des céramiques communes (68% du total des récipients de la vaisselle), puis d’en dégager les aspects technologiques propres (homogénéité des pâtes, de la cuisson, des décors et des glaçures), confirmés par l’étude céramologique. Deux groupes technologiques régionaux ont été mis en évidence: premièrement la céramique à glaçure transparente jaune sur cru et décor à l’engobe blanc et deuxièmement, la céramique à peinture sous glaçure. Le premier peut être rattaché à Bonfol ; la provenance du deuxième est multiple.

Les données tirées des archives, selon lesquelles douze localités d’Ajoie autres que Bonfol ont, à un moment ou à un autre au cours des 18e et 19e siècles, tiré profit de l’argile locale, pourraient cependant troubler un tableau qui semble simple au premier abord. D’autres catégories importées du Westerwald, de Heimberg, de la Neuveville, de Sarregumines, de Meillonnas ou de Strasbourg témoignent de manière plus ou moins fugace des contacts commerciaux entretenus durant l’époque moderne.

Au niveau chronologique, l’étude s’est appuyée principalement sur la comparaison avec des objets issus de sites plus ou moins bien datés. Si la majorité du matériel peut être située entre le début du 18e et le début du 19e siècle, certaines formes, qui n’ont pas subi de mutations sensibles au fil des siècles, pourraient être plus anciennes ou plus récentes. Aucun objet, récipient ou catelle, ne date de la période médiévale, ni n’est postérieur à 1850.

L’intérêt de cette étude est triple. Elle permet d’abord d’enrichir nos connaissances sur un artisanat qui a fait la fierté de la région tout en restant curieusement méconnu.
Elle met ensuite en évidence l’apport indiscutable de l’archéologie à l’histoire, même pour les périodes les plus récentes, en complétant, corrigeant ou remplaçant les sources historiques lorsqu’elles font défaut: les archives régionales restent en effet quasi muettes sur les objets usuels.
Un troisième exemple de contribution concerne l’exportation de récipients manufacturés vers Bâle, Zürich, Montbéliard ou l’Allemagne du sud: ce trafic était certes déjà connu par la tradition, mais aucun objet ne pouvait jusqu’à présent lui être associé, ainsi qu’en témoignent les publications présentant du mobilier similaire sans mention de provenance précise.